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a interviewé l'artiste-photographe Chris Morin-Eitner autour de sa dernière création « Paris, Élysée ».

 

 

Pourquoi vous êtes-vous attaqué à un monument comme l’Élysée, après l’Arc de Triomphe ou encore la Tour Eiffel ?

 

Plusieurs réflexions m'ont amené à travailler sur cette photo. La première est l’élection présidentielle. Une actualité forte, sur laquelle mon galeriste, Eric Landau, m'a poussé à travailler. Or, il s’avérait que j’avais déjà eu l’opportunité de photographier l’Élysée il y a dix ans lors d’une réception de remise de Légion d’Honneur.

Bâtiment iconique, l’Élysée me paraissait un bon terrain de jeu pour imaginer le monde et la ville comme j’en rêve. Il ne s’agit pas ici de représenter les personnes politiques actuelles, mais bien des animaux jouant la lutte du pouvoir, qui essaient de se positionner et d’avoir la meilleure place.

 

Globalement mon travail photographique tourne autour du pouvoir et je trouvais que le contexte s’y prêtait bien. Mon objectif n’est pas de me projeter dans les élections, mais bien au-delà dans un avenir avec davantage de nature, de respect de l’environnement. Une notion qui m'attire évidemment, sans pour autant me qualifier d’activiste écologique mais plutôt d’idéaliste, voire visionnaire.

 

Quelles sont vos références ?

 

Le titre fait référence au poème de Jean de La Fontaine Le loup et l’agneau, dont je cite la morale : « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Au-delà de cette référence, j’ai souhaité m’interroger sur la véracité de cette citation aujourd’hui et mettre en perspective la notion de force dans un contexte électoral. L’élu sera-t-il le plus intelligent, le plus agile, le plus habile, le plus cynique, ou le plus consensuel ? Un parallèle que l’on retrouve aussi bien dans le règne des politiques que dans le règne animal.

 

Dans quelles conditions une telle œuvre est-elle réalisée ?

 

Je travaille exclusivement avec des photos originales, que j’ai prises. Il ne s’agit pas uniquement d’une question de droits mais aussi de point de vue. Cela me permet au fil du temps de constituer une importante base de données « de la planète », avec des arbres, des nuages, des bâtiments, etc. C’est en puisant dans cette base de données que j’imagine les images que je vais composer. Ensuite, je fais souvent un croquis pour chercher et fixer mes idées, comme on prendrait des notes. Une méthodologie que j’ai apprise lors de ma formation d’architecte.

 

La photo de base de l’Élysée est une image volée d’un invité officiel. C’est-à-dire que je m’y étais rendu il y a une dizaine d’années, à l’occasion d’une cérémonie de remise de la Légion d’Honneur. Or, comme souvent, j’avais mon appareil photo sur moi. Les conditions n’étaient pas optimales, il faisait gris. Je n’ai pas eu l’opportunité de photographier le bâtiment depuis, c’est ainsi que j’ai travaillé avec cette image.

 

Vous êtes architecte de formation, comment envisagez-vous l’évolution des villes, au-delà de la représentation de vos œuvres ? Y a-t-il des choses qui vous paraissent inéluctables ?

 

Je m’intéresse beaucoup à la ville et à l'architecture. J’ai toujours été urbain, la ville me nourrit intellectuellement, artistiquement, émotionnellement, amicalement et familialement. La ville est mon terreau. Je la vis, je l’aime, elle me fait du bien mais aussi du mal. Je pense souvent à la phrase d’Alphonse Allais « On devrait construire les villes à la campagne, car l’air y est plus pur ». Aujourd’hui, la taille des villes est une réelle problématique à laquelle nous sommes confrontés. Si nous étalons les villes comme une banlieue infinie, c’est catastrophique d’un point de vue écologique. Espace sauvage ou cultivable, écoulement de l’eau etc. L’autre choix est de tout concentrer, ce que je trouve personnellement oppressant et inhumain.

 

Il y a peu d'alternatives, mais je pense aux villes comme Berlin ou Londres, construites au milieu de grands parcs, où densité et grands espaces se mêlent. Je crois aux espaces verts et massifs dans la ville, jusqu’au point de se perdre dedans. Il faut appliquer le « laisser-faire » à la nature, intervenir le moins possible pour lui laisser la place et la possibilité de se déployer. Dans un monde encadré et structuré comme le nôtre par des verticales et horizontales, la nature est un appel d’air sensoriel et spirituel. C'est un équilibre important à respecter.

 

Vous traitez de Paris en majesté, quelles sont vos autres destinations de prédilection ?

 

Étant parisien, j’ai la possibilité de me déplacer à n'importe quelle heure, quand la lumière est idéale. Je flâne dans cette ville depuis si longtemps, j’aime particulièrement certains quartiers où je retrouve des perspectives inouïes. Il y a des jeux visuels très amusants à Paris entre l’ancien et le moderne, les hauteurs et le bas.

 

Même si je considère vivre dans la plus belle ville du monde, l’utopie que j’imagine ne s’applique pas seulement à Paris mais également aux grandes villes du monde entier que j’aime photographier. New York, Los Angeles, Londres, Dubaï… J’ai eu l’occasion d’exposer à Singapour, Kuala Lumpur et Jakarta, qui sont des villes ultra modernes, à des échelles folles, hyper denses.

 

Au-delà des capitales et des villes emblématiques, j’aime photographier les bâtiments contemporains et anciens, symboles de pouvoir d’une époque, comme Le Château de Versailles, l’Élysée où La Maison-Blanche. Les ruines m’intéressent également, Angkor, les cités Maya. Rome. Elles fonctionnent peut-être comme un miroir déformant de notre époque.

 

Lorsque la situation le permettra, j’aimerais aller au Brésil photographier Rio de Janeiro et Brasilia, capitale totalement inventée au cœur de la jungle dans les années 50. Ou encore Tokyo, Cap Town…

 

De cette façon, j’aurai fait le tour du monde des mégapoles et des bâtiments icônes pour raconter un parcours d’humanité que j’aimerai partager dans un livre, un projet en perspective.

 

La crise sanitaire a été une période de remise en question de nos modes de vie, est-ce que ça a une influence sur la manière dont vous abordez votre travail ?

 

J’ai trouvé cette période terrifiante et extraordinaire. Beaucoup de choses ont été remises en question dans notre monde de certitudes où on a l’habitude de tout contrôler. Le fait que tant de choses s'arrêtent brusquement, comme dans un jeu, que l’on détermine les commerces qui sont essentiels ou pas. Soudain, les conditions objectives étaient en place pour nous donner l’occasion rêvée de faire un bilan, de s’interroger, de corriger. Malheureusement il semble que l’on n’ait pas su tirer suffisamment d’enseignements de cette sobriété forcée et qu’on reparte de plus belle… !


Pour le reste, j’ai été agréablement surpris de voir des animaux revenir en ville, de voir la nature reprendre ses droits et ce, en l’espace de seulement trois mois. 

 

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